Vendredi 25 août 2017

Le soleil commence à être bas sur l’horizon. Comme toujours, nous avons trop attendu pour nous arrêter. C’est toujours la même rengaine : chaque soir, dans l’impossibilité de trouver le temps de lire convenablement, on se dit : « demain sera une petite journée« . Tu parles. On a beau partir tôt le matin et pédaler comme des forcenés, on a toujours envie de faire une sieste à midi, où d’admirer le paysage pendant notre goûter de l’après-midi. Et quand ce n’est pas nous, ce sont les autres : toujours quelqu’un pour nous taper la causette et nous retarder ! Insupportables, ces gens polis et curieux qui s’intéressent à nous !

Alors nous voilà, à la bourre, une fois de plus. Au pied du phare de la Coubre, j’aperçois Marine qui sort des toilettes du musée, son sac à la main. C’est comme ça qu’on dissimule le gant, le savon de Marseille et les vêtements de rechange qu’on emmène pour se laver dans les toilettes handicapées, généralement les seules pourvues d’un lavabo, et qui ferment à clé. Les touristes nous observent en coin. Il faut dire qu’entre les vélos surchargés, nos tenues un peu sales et ma barbe de 6 semaines, on fait sensation ! Peu d’entre eux se rendent compte de notre manège « nettoyage » : la plupart sont trop occupés à lever les yeux pour apercevoir le sommet du phare, surveiller leurs gamins, ou simplement consulter leurs smartphones.

Le phare de la Coubre, au pied duquel nous faisons notre toilette

  

On recharge les vélos, on s’embrasse, et on file. Il est déjà 20h, et notre soirée ne fait que commencer. Dans une heure et demie, il fera nuit, et nous devrons avoir trouvé un coin tranquille, monté la tente, et mangé. Le portable rivé sur le guidon de Marine, Google Maps nous guide au travers des chemins sablonneux de la Forêt de la Coubre. Les touristes se raréfient. Tant mieux, car au détour d’une départementale dangereuse, notre guide nous amène face à une barrière : « Forêt de protection du littoral – Domaine de l’ONF – Camping interdit« . Le dilemme est simple : braver l’interdit en croisant les doigts pour qu’aucun garde de l’ONF (l’Office National des Forêt, ndr) ne passe, ou pédaler quelques 10 kilomètres supplémentaires afin de rallier les champs les plus proches. Que faire ?

Sans hésitation aucune, on franchit la barrière. Les chemins forestiers sont lugubres : sombres, humides, et clairement abandonnés depuis longtemps. On se croirait au milieu d’un domaine militaire désaffecté – intuition qui sera confirmée le lendemain au travers de panneaux bien explicites posés à 50m de là. Après quelques envasements, on arrive au milieu d’une clairière traversées par des sentiers de randonnée, et une piste tout-terrain semblant inutilisée. Le sol est meuble, fait de sable et d’herbes piquantes. Afin de préserver l’environnement, ainsi que notre sol de tente, on décide donc de planter la tente au bord de la piste. En plein sur la trajectoire d’un éventuel garde de l’ONF, mais tant pis, on compte sur un élan de procrastination de sa part !

Dès lors, tout roule. Chaque tâche possède son responsable : on commence par monter la tente. On se met d’accord sur un coin plat ; Marine monte les arceaux tandis que je prépare les toiles. Clic, clic, clic. Seuls les bruits des embouts métalliques qui s’entrechoquent viennent troubler la quiétude de la forêt. En quelques minutes, la tente est montée. On lance le réchaud (interdit lui aussi, c’est pour vous dire ce qu’on risque si ce fichu garde décide de passer !) afin de faire cuire les pâtes tandis qu’on installe duvets, matelas de sol et autres accessoires de nuit. 

Le gaz, la tente… Si l’ONF passe, on est mal !

Quand on passe à table – un comble quand on sait qu’on mange par terre à chaque repas -, le soleil est déjà loin. La nuit commence à nous envelopper de ses bras froids. Les couleurs chaudes du coucher de soleil laissent place à des nuances de bleu et de violet. Un vent frais sorti de nulle part nous fait frissonner en se glissant tranquillement sous nos polaires pourtant chaudes. Chaque soir, durant quelques minutes, on a cette sensation que la nature retient son souffle. Une sorte de silence glacial durant lequel les animaux de la journée se terrent pour laisser la place au  règne nocturne. Seuls nos couverts et nos voix brisent ce silence, rapidement rejoints par de timides bruissements dans les fourrés et, au loin, des cris roques d’oiseaux que nous n’avons pas l’habitude d’entendre.

Les dernières lueurs du crépuscule disparaissent. La Lune n’en est qu’à son second jour, et il ne faudra pas compter sur son maigre croissant jaunâtre pour nous éclairer… D’autant plus qu’elle se couche déjà. Les deux éclats réguliers du phare de la Coubre ne nous seront pas d’une grande aide non plus… Les yeux s’habituent tant bien que mal à la pénombre, mais les formes reste floues et nos esprits s’agitent. Un arbuste devient forme humaine. Un arbre devient démon. Un phare au loin devient la torche du garde ONF… N’exagérons pas ! On file se mettre dans nos sacs de couchage.

Le soleil s’enfuit et laisse place au règne de la nuit

Pauvres bivouaqueurs, vous vous croyez à l’abri, blottis dans votre tente ? Que nenni ! L’isolation phonique nulle nous permet de jouir de chaque bruit environnant. C’est donc avec un niveau de détail formidable que nous entendons une bête au trot qui frôle la tente par derrière au moment où nous nous apprêtons à dormir. Marine dresse l’oreille, me secoue par le bras. S’en suit un grognement sonore à quelques mètres de nous, qui n’est pas sans me rappeler les ronflements de mon père sur le canapé après le repas du dimanche. Aucun doute : les sangliers sont avec nous ce soir.

Les quadripèdes semblent zoner autour de notre tente. La panique nous gagne. Que faire pour leur signaler notre présence ? Même si ce sont des animaux farouches, nous craignons qu’une manifestation trop vive attise leur peur, et les fasse réagir de manière inconsidérée, par exemple en leur donnant l’excellente idée de charger la tente, et nous au passage ! Nous allumons une lampe torche, et parlons à voix hautes, sans crier. On entend l’animal (les animaux ?) qui détalent au loin, avant de revenir de plus belle. On refait notre spectacle sons et lumières – merde pour le garde ONF -, tout en cherchant fébrilement sur nos téléphones « que faire si des sangliers rôdent autour de ma tente« . Le doctissimo nous randonneur nous incite à accrocher notre poubelle et nos sacoches de nourriture en hauteur dans les arbres. On le fait, non sans balayer les alentours de nos frontales puissance max. On fait ça pour se rassurer, mais si, dans le faisceau lumineux, une paire d’yeux blancs apparaissaient, on n’aurait d’autre option que de grimper à un arbre ! Un autre conseil, plus saugrenu, nous proposait d’uriner autour de la tente pour marquer notre territoire… On le fait aussi, tant pis pour la dignité. Car ici c’est la loi du plus fort… Ou de celui qui sent le plus fort.

De retour au lit, on croise les doigts… Mais notre cirque a dû être efficace, car les seuls bruits qu’on entend à présent sont loin. Des sangliers se battent et leurs grommellements résonnent dans la clairière, lui donnant une ambiance de film d’horreur assez morbide. Qu’importe, du fond de nos duvets, on se sent plus confiants. On s’endort facilement, et on ne sera plus dérangés de la nuit.